Le matin même, mon voisin de chambre fait ses bagages. Il
hallucine sur les deux pieds à perf et me dit qu’il n’a pas eu ça. Je commence
déjà à comprendre que le diabète est quelque chose de très personnel. La
nutritionniste vient lui donner les dernières recommandations et lui parle d’une
sorte de stage d’une semaine pour apprendre à compter les glucides et adapter
ses doses d’insuline. Je lis dans mon coin (Le
Donjon de Naheulbeuk – À l’Aventure, Compagnon !) mais les oreilles
traînent. Même si je ne comprends pas encore tout ce qui se dit, je trouve l’idée
séduisante. Elle en vient à discuter boisson. J’ai une question qui me trotte
dans la tête et me permet d’intervenir.
Quelques mois auparavant, la firme Coca a sorti un nouveau
produit, le Coca Vert, le Coca Life. Un peu partout, j’avais lu que c’était une révolution
pour les diabétiques parce qu’il était à la stévia, plus naturel, avec une
faible teneur en glucides en plus d’avoir une action très faible sur les
glycémies. Le goût du sucre sans en avoir les inconvénients et donc sans danger
pour un diabétique. Et contrairement au Coca Zéro, il a meilleur goût. Ce n’est
pas parce qu’on est diabétique qu’il faut se priver de tout, y compris de petits
plaisirs comme un verre de Coca de temps en temps !
Seulement voilà… les publicitaires feraient n’importe quoi
pour vendre leur produit, y compris assassiner un diabétique. Parce qu’il y a du
sucre dans le Coca Vert ; en moins grande quantité que dans le Coca Rouge
mais il y a quand même du sucre ! Et quand vous n'êtes pas diabétique, vous ne regardez pas forcément les étiquettes.
Pour un diabétique qui veut se faire plaisir avec le liquide
marron, il ne reste que le Coca Zéro et le Coca Light. Pour un diabétique qui a testé le Zéro et mis trois heures pour tomber 50cl, la liste est encore plus réduite.
Plus tard dans la journée…
L’infirmière d’à peine 25 ans se bat avec le distributeur d’insuline
qui doit être plus vieux que son grand-père. Et comme elle trouve anormal que j’ai
deux cathéters, elle décide de tout faire passer dans un seul bras. Je la
vénère, je revis et suis heureux de ne pas avoir eu à aller aux toilettes
depuis tout ce temps. Réflexion anodine qui ne me fait pas plus réagir que ça.
La jeune femme me dit que le lendemain, je serai encore plus
libre car on va m’installer une pompe pour 24h avant de passer à l’injection
par stylo.
Dans la journée, il y a la visite des médecins. Les
protocoles sont établis. On me bombarde de tout un tas de données que mon
cerveau ingurgite avec gourmandise. J’écoute, je comprends, je sais qu’il va il
y avoir des sacrifices. Ceux-ci ne sont pas très nombreux : plus de coca
rouge. Pas grave. J’avais mis une bouteille de 2L au frais la veille de mon
entrée aux urgences. Elle va devoir se sentir abandonnée.
Durant les prochains jours, ça va être la course. Je dois
voir un médecin pour choisir un lecteur de glycémie, pour apprendre à faire la
différence entre une hypoglycémie et une hyperglycémie, apprendre à réagir
quand cela arrive. Je vais également voir la nutritionniste pour qu’elle m’explique
les habitudes à adopter point de vue nourriture, en fonction de mon
alimentation habituelle. Et tout cela en plus de la visite, toutes les 2h, de l'infirmière ou l'infirmier pour contrôler la glycémie.
On m’explique tout. La différence entre le diabète de type 1
et de type 2, les différences de traitement, les contraintes, les progrès de la
médecine… Si on me parle de tout cela, c’est parce qu’on ne sait pas encore de
quel type de diabète je dépends. Les prises de sang ont été faites mais les
résultats sont longs à revenir. Donc pour le moment, on va me traiter comme un
diabétique de type 1 parce que cela semble fonctionner. Et on verra par la
suite. De toute façon, je ne suis plus à ça près. Parce que je sais que cela
fait quelques années en fait que je suis diabétique. N’ayant eu que cette
surconsommation d’eau que j’avais mis sur le compte de l’inactivité suite à la
perte de mon travail, je m’étais dit que j’avais ainsi compensé au lieu de me
jeter sur la bouffe. Mon régime qui masquait la perte de poids due au diabète
qui aura elle aussi été très lente... je brouillais les pistes.
Ce qui se passe, c’est que le diabète de type 1 se manifeste
généralement à l’adolescence. Le type 2, se manifeste quant à lui plutôt à la
retraite. J’ai 40 ans. Pas assez vieux pour avoir un type 2, plus assez jeune
pour le 1. Une énigme médicale comme les aime le Dr House ? Pas à ce point-là.
Il y a de plus en plus de gens dans mon cas. Mais les médecins me font
remarquer que je ne fais rien comme les autres.
– Eh ! Faut bien que vous bossiez un peu, ça serait pas
drôle pour vous si vous aviez que des gens qui font tout dans les règles.
Et je vous assure que c’est ce que je leur ai dit, sur le
ton de la plaisanterie bien évidemment. Ce qui a contribué à la surprise de me
voir aussi bien réagir face à ce qui m’arrivait. Ce à quoi j’ai répondu sur
un ton plus sérieux :
– Est-ce que j’ai le choix ? À quoi ça me servirait de
me battre alors qu’il y a 200% de chance que je perde et que j’accélère les
complications ? Autant que je sache tout de suite ce qu’il faut faire et
ne pas faire pour gérer cette maladie, que j’apprenne à vivre avec, plutôt que
de m’acharner à me bousiller encore plus la santé.
Avec toutes ces données, je peux établir des règles dans le
diabète. La première d’entre elle, la règle d’or, c’est que justement le
diabète ne répond à aucune règle. Lorsque l’on a compris cela, on a compris sa
maladie.
Les médecins me demandent si j’ai constaté des changements
dans mon comportement. Mis à part le fait que j’ai plus qu’un pied à perf à
trimbaler au lieu de deux, je ne vois pas. J’ai beau attaquer la base de
souvenirs au marteau-piqueur, je ne trouve pas de réponse.
Une des médecins, le regard un peu dur et froid la première fois qu'on la voit mais en réalité très
agréable, me demande alors avec un sourire satisfait :
– Avez-vous remarqué que vous allez moins aux toilettes ?
Temps de réflexion. Fouille mémorielle et je dois me rendre
à l’évidence : je ne suis pas allé aux toilettes depuis mon admission aux
urgences. Pas à cause du stress, pas à cause des milles questions qui pouvaient
m’assaillir puisque qu’ils n’y en avaient pas, juste cette impatience de tout
savoir sur la maladie et la façon dont j’aurai à la gérer. Non, rien de tout
cela. Je n’allais plus aux toilettes, tout simplement parce que je n’en avais
pas envie. En balançant de l’insuline aux urgences, mon organisme, en roue
libre depuis au moins quatre ans, commençait à se réguler, à reprendre le
contrôle et ce immédiatement.
Plusieurs choses me sont alors passées par la tête à ce
moment-là. La première, c’est que j’allais retrouver le goût d’aller au cinéma
sans avoir à sacrifier cinq minutes du film pour aller vidanger.
La seconde, c’est que l’on était étroitement surveillé au
point de regarder les allées et venues aux chiottes…
Au-delà de la plaisanterie, c’est rassurant de voir toute
une équipe médicale qui sait de quoi elle parle. Mieux vaut dans ce domaine.
Mon médecin généraliste m’avait parlé vaguement du diabète
mais m’avait aussi précisé qu’elle n’était pas experte et qu’elle ne pouvait
pas répondre à mes questions. Au C.H.U., c’est pareil. Ils sont spécialistes
mais quand ils ne savent pas, ils le disent. Quand ils ne sont pas sûrs, ils le
disent. Et c’est ce qui est rassurant.
Tout ce que l’on peut vivre au quotidien est autant de
données qui peuvent être prises en compte pour que la médecine puisse avancer.
Le diabète est méconnu. Mise à part les symptômes récurrents, les différents
protocoles médicaux à mettre en place et le suivi à opérer, il y a encore pas
mal de questions sans réponse.
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