Mars 2014.
Les urgences du C.H.U., c’est une usine. Vous arrivez, on
prend connaissance de votre existence, on vous fait attendre sur un banc et une
infirmière vous prend en charge avec juste les suspicions sur votre état. Mais
cet état est parfaitement établi, il faut le confirmer, c’est tout.
Pour cela, on fait une dextro. Mot que je ne comprends pas,
que je ne connais pas. Ça revient à piquer le bout d’un doigt, jamais le même,
de recueillir une goutte de sang et d’attendre le bip de la machine qui fait une
syncope en affichant le résultat. Enregistré. Le résultat, comme le terme
« dextro ».
Ensuite, direction le couloir où il faut poser au moins le
t-shirt. Ça tombe bien, il fait un peu chaud chez eux.
Deux bras, donc deux cathéters. Ça doit être la politique
des urgences. L’urgentiste m’explique alors un peu plus en détail le pourquoi
je suis là en même temps que l’infirmière prépare les cathéters. On me pose
tout un tas de questions pour bien confirmer ce diabète et élaborer certaines
choses que je ne comprendrais que bien plus tard.
Est-ce que j’ai des membres de ma famille atteints de cette
maladie ? Ça je le savais que j’étais sujet vu que mon grand-père maternel
est mort de cela dans les années 50 et que je ne l’ai jamais connu.
Depuis quand j’ai les premiers symptômes… difficile à dire
et vu que je ne fais jamais rien comme les autres, tu vas en chier.
L’infirmière trouve que j’ai les mains moites et me demande
si je stresse. Je lui réponds que non, qu’il fait juste un peu chaud et que
j’ai du mal à supporter cette chaleur. Et c’est vrai que je suis d’un calme
olympien face à ce qui m’attend et dont j’ignore tout.
L’urgentiste en est à me demander si j’ai constaté une perte
de poids. Je lui dis que oui et en réfléchissant, je me dis – tout en lui en
faisant part – que j’ai perdu au moins 30 kilos.
Cette fois, c’est à l’urgentiste de faire une syncope et de
friser l’asphyxie. Il veut savoir sur combien de temps.
Sur au moins 2 ans. Parce que j’avais décidé de faire un
régime en changeant juste mes habitudes alimentaires. Je ne me privais de rien,
je réduisais simplement les quantités et évitais le grignotage. Cela semblait
efficace. Seulement le diabète déclenche lui aussi une perte de poids, chose
que j’ignorais alors. C’est quelque chose de fulgurant en fait : ça peut
aller de 10 à 15 kilos en un mois m’a-t-on dit, dans les cas les plus graves.
Quand je dis que je ne fais rien comme les autres…
En attendant, le premier cathéter est en place et la valve
doit être ouverte puisque je me vide sur le lino. Fermeture des valves, milles
excuses, ce n’est rien, il m’en reste encore un peu, je suis en vie donc tout
va bien.
Direction une salle rien que pour moi. Dans le bras gauche,
on me balance du glucose, dans le droit de l’insuline. Ou l’inverse, je ne sais
plus. Quoi qu’il en soit, je me dis que si l’envie de pisser me prend, je ne
vais pas être à la fête. Surtout que depuis quelques années, j’y vais environ
une fois toutes les heures.
Je suis allongé, ne pouvant rien faire d’autre que d’écouter
les bruits de couloir. En face de moi, une pendule. Vous savez, celle du genre
où la trotteuse avance d’une seconde pour reculer de trois. Malgré tout, le
temps passe relativement vite. Délires psychédéliques, perte des repères de la
réalité ? Je ne sais pas et je peux me demander ce qu’ils me balancent
dans les tuyaux. Je ne vois ni éléphant roses, ni lapin géant mutilé, ni arc en
ciel avec des fleurs partout, donc, ça doit aller.
Deux types se tapent dessus apparemment, un peu plus loin.
Une sombre histoire de petite copine allumeuse et de petit copain ultra jaloux.
Les gardiens sont appelés, tout rentre dans l’ordre et tic-tac, tic-tac…
Toutes les deux heures, on vient me faire une dextro et on
me demande si j’ai envie d’aller aux toilettes. Peut-être que je stresse et que
je ne m’en rends pas compte au final, en tout cas, je n’ai pas envie.
Et toutes les deux heures, on vient me faire une dextro sauf
que cette fois, on insiste pour que je remplisse le gobelet. Je peux rire sur
commande et peut-être même pleurer mais pisser, ça m’est compliqué. L’infirmier
me conduit tout de même aux toilettes, avec deux pieds à perf… le bonheur et
pas une goutte.
Et toutes les deux heures, on vient me faire une dextro et
on me précise qu’il ne faut pas jouer les égoïstes, qu’il faut que je donne que
quelques gouttes d’urine car c’est cette analyse qui retarde mon entrée dans le
service d’endocrinologie. On me supplie presque en précisant qu’il ne faut deux
ou trois gouttes.
Peut-être mais je n’ai pas envie. Le matin même, on m’aurait
demandé cela, c’est rois barils que je remplissais mais là, je n’ai pas envie.
Ce qui me surprend d’ailleurs. J’aurai la réponse à cette énigme le lendemain.
Les parrains envoient des gros bras pour vous faire cracher
le pognon que vous devez. En général vous finissez avec les jambes brisés ou au
fond du fleuve, les pieds coulés dans un bloc de béton. Je sais, la réalité est
moins douce.
Au C.H.U., ils envoient Robocop.
Un type qui, avant d’avoir fait médecine, devait être pilier à l’A.S.M. Pas
forcément très grand, trapu, chauve, le regard enfoncé dans les orbites, la
voix grave il dit : « Monsieur, faut pisser ! »
Et la dernière chose qui te traverse l’esprit à ce moment-là
c’est de vouloir le contrarier.
Dans le quart d’heure qui suit, ils ont leur trois gouttes
dans le gobelet… qu’ils viennent récupérer deux heures plus tard. No comment.
Les brancardiers viennent alors me chercher, direction le troisième
étage, service endocrinologie, diabétologie. Premier chambre à droite, déjà
occupée. Il fait chaud, la fenêtre est ouverte (enfin, ouverte… sur quelques
centimètres, ça ne monte pas plus haut pour empêcher les malades de se jeter
sur le bitume un peu plus bas) et ce n’est pas les allers et venus de
l’hélicoptère qui vont me bercer. Il est 4h du matin, je n’ai pas dormi et ne
dormirai pas. À 6h, les infirmières arrivent pour les dextros. À 7, la journée
commence.
Ma nouvelle vie aussi.
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